Enfants et adolescents
Question sensible mais incontournable : comment protéger les enfants de certains risques liés au numérique ?
Cette fiche parle des contenus à risque et du temps d’écran, elle propose des conseils et des outils techniques.
Sommaire
Avant-propos
Il n’est pas question ici de faire " la morale " aux parents, ni de montrer du doigt qui que ce soit. Être parent est un métier difficile pour lequel il n’y a pas d’école et nous faisons en général de notre mieux pour nos enfants. Bien souvent, on fait surtout ce qu’on peut.
L’objet de cette fiche est d’informer sur la question de l’exposition aux écrans afin que chacun puisse ensuite faire un choix éclairé.
Il faut se souvenir que l’omniprésence des écrans, consécutive à la mise sur le marché des nouveaux terminaux que sont les tablettes et smartphones, est très récente. Le premier appareil grand public à écran tactile est proposé par Apple en 2007. Les adolescents d’aujourd’hui sont donc une sorte de génération " cobaye ", la première à être en permanence connectée, la première à grandir avec les réseaux sociaux, les plateformes de vidéos et un tas d’applications récréatives pour lesquelles le recul est bien court.
De nombreuses enquêtes et études évaluent les effets de ces nouvelles pratiques. Les résultats ne sont cependant pas très bien diffusés, principalement du fait d’une certaine collusion entre les médias d’information et les intérêts financiers du numérique.
On peut cependant remarquer l'information proposée par Arte dans la série " Dopamine ".
Le collectif attention regroupe des associations pour alerter et faire des propositions.
Enfants et écrans
C’est au début de la vie que s’ancrent les habitudes, les marchands de toutes sortes l’ont bien compris et les enfants sont une cible privilégiée de tous les marketings.
Face au techniques de hameçonnage des plateformes, leur manque de maturité les rend particulièrement vulnérables et s’il est difficile de parler d’addiction, une forme de dépendance s’installe tout de même très facilement.
Les études disponibles le montrent, les parents qui pensent que leurs enfants et adolescents " gèrent " (n’y passent pas trop de temps, lisent encore et regardent des programmes pédagogiques sur le web) se mettent très majoritairement le digital dans l’œil.
L’état des lieux est bien exposé dans l’ouvrage de Michel Desmurget, " La fabrique du crétin digital " qui décrit et explicite, preuves scientifiques à l’appui, les différents dommages que subissent les enfants avec une aggravation aux âges précoces proportionnelle au temps d’exposition :
- lacunes dans les acquisitions du langage et de la motricité
- augmentation des conduites à risque
- frein aux apprentissages scolaires
- réduction du niveau de culture générale
- etc...
Cet ouvrage me paraît indispensable pour tous les parents.
Si cette fiche propose principalement des outils et une autre façon de s’exposer au numérique, il ne faut pas oublier que la protection des enfants repose bien souvent sur les habitudes éducatives.
Bien qu’informaticien et animateur dans le numérique, c’est aussi en tant que père de famille nombreuse que je me permets quelques conseils.
Le soir et la nuit
Le manque de sommeil est une énorme nuisance liée aux écrans. Il est donc nécessaire que les chambres d’enfants soient des lieux sans écran le soir et la nuit.
Je vois des adolescents pour qui la séparation nocturne du smartphone provoque une véritable angoisse. Nombreux sont ceux qui hachent volontairement leur sommeil à coup de notifications sonores et même d’alarmes pour compenser la peur de manquer quelque chose (le fameux syndrome FOMO, " Fear of missing out ").
L’habitude d’une absence d’écran le soir évitera que ce phénomène s’installe et aura des effets bénéfiques immédiats. L’enfant trouve toujours d’autres occupations, et l’une des première vers laquelle il ira est la lecture (autre grande victime des écrans), ou bien ce seront les jeux de société, le dessin, les jouets... Leur imagination est infinie et il est tellement dommage de la restreindre.
Il est important, dans le développement de l’enfant, qu’il construise ses images mentales à partir de récits ou de jeux d’imagination. Les histoires qu’on lui lit, par exemple, même si ce sont des contes enregistrés, puis celles qu’il lit quand il le peut, lui font faire cet exercice de construction mentale qui devient un plaisir. Les images animés des films et des jeux vidéos, même de la meilleure qualité, ne permettent pas cette gymnastique indispensable du cerveau.
Moins d’écran, c’est aussi plus d’interactions sociales et familiales également indispensables.
Pour les jeunes enfants c’est simple, moins il y en a, mieux c’est. Michel Desmurget le montre, il n’y a rien qui s’apprend sur tablette ou ordinateur qu’ils ne pourront facilement acquérir plus tard s’ils ont des bases cognitives et relationnelles solides.
Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas regarder un joli film de temps en temps, il y a heureusement de très belles productions cinéma et documentaires, mais Desmurget établit ce quota : moins d’une demi heure par jour en moyenne d’écran ne semble pas avoir d’effet délétère. Bien en deçà des pratiques actuelles.
Il est aussi largement préférable d’accompagner l’enfant dans ses usages du numérique.
Il y a une autre raison de limiter l’accès nocturne à internet et c’est un sujet assez tabou. L’intimité de la nuit est un moment favorable aux transgressions secrètes et un enfant peut être complètement dépassé par certains contenus disponibles sur le web.
J’ai été stupéfait d’entendre, lors d’une intervention dans une classe de CM2, que plusieurs enfants étaient face à une véritable angoisse et se prêtaient à des rites de " spiritisme " en pleine nuit afin de suivre un protocole très précis sensé les protéger de menaces mystiques présentées dans une vidéo sur Youtube. Les clowns tueurs avaient aussi une bonne place dans leurs préoccupations. Les parents n’étaient pas au courant.
Je ne rentre pas dans le sordide mais on peut s’interroger sur la place d’internet et le laisser faire des parents dans un témoignage comme celui-ci.
Il y a un mouvement qui défend les libertés numériques et le respect de la vie privée dont je fais partie. Il est bien de préciser que ce respect est demandé aux multinationales et aux états, pas aux parents envers leurs enfants.
À l’école
Le smartphone est d’une efficacité inouïe pour capter notre attention, il vibre ou sonne à chaque message et notification reçue, détournant sans cesse son propriétaire du moment présent. Se concentrer avec un smartphone allumé en poche est extrêmement difficile pour n’importe qui, à fortiori pour un ado.
Il est donc bien de retarder le plus possible l’acquisition d’un smartphone pour son enfant (voir la proposition du collectif attention). Pour la majorité des usages, surtout scolaires, un ordinateur familial sous contrôle des parents est tout à fait indiqué. En règle générale, d’ailleurs, tablettes et smartphones sont de piètres outils de travail contrairement à ce que certaines campagnes promotionnelles prétendent.
Pour les ados, à partir du collège, il n’est pas commode, vue la pression sociale et le besoin de conformisme normal à leur âge de les priver de smartphone.
Il est cependant possible, moyennant une bonne dose de négociation, qu’il ne l’emmènent pas au collège. Au lycée, c’est plus difficile.
Il peut être judicieux de ne pas leur fournir un forfait qui permet d’accéder à internet partout. C’est économique, les forfaits sans internet sont entre 2 et 5€ par mois (attention cependant de bien désactiver l’option "données mobiles" dans les paramètres du compte client sinon on paye à l’usage et c’est très cher !). Ils pourront téléphoner, envoyer des SMS et utiliser les réseaux wifi disponibles, ils ne seront ainsi pas marginalisés tout en étant bien moins tentés qu’un jeune ayant un forfait avec plusieurs dizaines de Go lui permettant de ne manquer aucune alerte, y compris en cours.
Sinon, il faudra les convaincre que pour éviter d’être continuellement interrompu il est mieux de l’éteindre, le mettre sur un mode " avion " ou " ne pas déranger ". Il est aussi possible de paramétrer les notifications sur chaque application et ne laisser que celles qui, en fonction de chacun, peuvent avoir un caractère d’urgence.
Facile pour un adulte, et encore, mais pour un enfant il est bien plus difficile de hiérarchiser l’importance des choses. Il est bien souvent plus important à 15 ans de ne pas louper la story d’une copine qu’une leçon de géographie, c’est normal.
Cela étant dit, retirer tout écran aux enfants, surtout pour les plus grands, n’est pas vraiment à l’agenda de ce début de millénaire. Il y a heureusement quelques outils qui permettent de limiter les dégâts, comme les méthodes de contrôle parental, qui nous feront passer pour les pires tyrans qui soient mais c’est pour leur bien, ils vous remercieront plus tard. Et je laisse à chaque parent la gestion bien difficile du dosage entre être trop intrusif ou trop permissif.
Astuces techniques pour protéger ses enfants
Publicité
La publicité est particulièrement influente sur les enfants, les en protéger est très simple. Deux fiches sont déjà consacrées à ce sujet.
Préserver leur sommeil
Les écrans produisent une lumière dont le spectre tire vers le bleu, couleur que notre cerveau associe au grand jour, ce qui a pour effet d’inhiber la production naturelle de mélatonine, hormone du sommeil.
Pour réduire cet effet, les appareils récents ont presque tous un réglage d’écran qui rend plus chaude la teinte de la lumière émise le soir, ce qui facilite l’endormissement.
Pour Ubuntu et autres distributions GNU/Linux avec le bureau Gnome, Il faut ouvrir les Paramètres → Périphériques → Écrans → Mode nuit puis glisser le bouton vers la droite.
Le réglage " Coucher au lever du soleil " automatise l’effet en fonction du fuseau horaire.
Avec Android, la marche à suivre est expliquée là.
Sur un smartphone avec LineageOS ( Android 10 ), il faut aller dans réglages→ Écran → LiveDisplay → Mode d’affichage et choisir Automatique.
Sur iPhone le dispositif se nomme Night Shift et le réglage est expliqué ici.
Pour Windows, de nombreuses documentations existent, par exemple celle-ci.
Minimal, pour réduire les stimuli
Minimal est une petite extension bien pratique pour les navigateurs sur ordinateur.
Elle modifie automatiquement la mise en page, les couleurs... des sites qui recourent le plus aux artifices de hameçonnage (voir Dark Pattern), sans empêcher d’accéder au contenu.
Voici, par exemple, la page d’accueil d’une célèbre plateforme de vidéo " minimalisée ".
Le rouge a disparu, les vignettes sont grisées et l’accent est mis sur le choix volontaire de l’internaute par la mise en valeur des menus.
Pour installer l’extension pour Firefox, suivre ce lien.
Pour Chromium (et Chrome).
C’est une manière de protéger les enfants en douceur sans trop changer les habitudes.
Pour vraiment changer d’interface, les clients anonymisés (présentés dans cette fiche) sont bien plus efficaces.
Filtrer les contenus inadaptés
Comment protéger les enfants de contenus qui pourraient les choquer (pornographie, violence extrême…) ?
Peu de gens le savent mais on peut assez facilement confier la mission de filtrer les sites dangereux aux services de résolution de domaine (DNS, Domain Name System en bon anglois).
Explication rapide. Pour accéder à un site, par exemple " ricochets-figeac.fr ", il faut qu’un annuaire automatique, le service DNS, convertisse le nom de domaine en " IP " (ricochets-figeac.fr → 80.15.85.156), sans cela le site est inaccessible.
Certains services DNS proposent de ne pas convertir une liste de sites référencés pour leur caractère inadapté aux enfants. Ces services comportent la mention " famille ".
Par défaut, le serveur DNS est celui de notre FAI (fournisseur d’accès à internet) qui convertit tout sans restriction, mais on peut en général le remplacer par un de ceux-ci :
- Adguard (famille) : 176.103.130.132 , 176.103.130.134
- Cloudflare family : 1.1.1.3 , 1.0.0.3
- OpenDNS famille : 208.67.220.123 , 208.67.222.123
Voici par exemple un site bloqué par OpenDNS famille :
Attention de bien choisir vos DNS, certains peuvent vous rediriger vers des sites malveillants, les trois proposés ici sont fiables, à but non lucratif et garantissent le respect de la vie privée.
Directement sur la box
L’effet sera que tout terminal connecté au réseau profitera du filtrage des contenus.
Le paramétrage se trouve sur le routeur auquel sont connectés les appareils de la maison. Ce routeur est en général la " box " fournie par notre FAI. Pour se connecter à ton interface d’administration une petite recherche de type " administrer freebox/livebox/9box/bouyguebox... " avec ton moteur de recherche préféré te donnera la solution.
Généralement, il faut aller dans Réseau → DHCP puis modifier les champs DNS.
Sauf que dans bien des cas, soit les champs ne sont pas proposés (chez sfr ou sur Livebox 4 par exemple) soit le passage en manuel ne marche pas (sur Livebox 5).
Il est alors possible d’acquérir un routeur wifi de son choix, on en trouve neuf autour de 20 à 30€, puis le brancher sur sa box avec un câble.
Il faudra ensuite paramétrer ce routeur pour définir le nom et la clé d’accès au WIFI puis désactiver le WIFI de la box. Le réseau WIFI de la maison passera donc par ce deuxième routeur.
L’avantage étant que les routeurs achetés séparément sont bien plus paramétrables que les box, notamment pour les DNS.
Voici par exemple la configuration DNS avec OpenDNS famille sur un routeur trouvé d’occasion et qui fonctionne parfaitement.
Directement sur le terminal
Il est aussi possible de choisir le service DNS sur chaque terminal, smartphone ou ordinateur.
Sur Ordinateur
Si tu utilises un système GNU/linux, cette documentation te permettra de faire le tour des principales distributions et comme toujours pour les systèmes libres, un petit passage au café bidouille te permettra d’être accompagné.
Avec Windows, " le crabe " vous explique parfaitement comment faire.
Sur smartphone
Pour les mobiles le plus simple est d’utiliser l’application libre Blokada.
Il y a déjà une fiche consacrée à l’utilisation de cette application.
Il faudra ajouter une application de verrouillage d’application (appLock) pour empêcher la modification des paramètres de Blokada par l’enfant.
Je n’en ai malheureusement pas trouvé de convaincante sur F-droid, sur le PlayStore il y en a des tas, celle-ci semble fonctionner et n’a pas de traceurs externes.
Gérer les horaires d’accès
En plus de filtrer les contenus, on peut limiter les horaires d’accès à internet ou à certaines applis.
Comme pour les DNS, cela peut se faire depuis le routeur ou directement sur l’appareil de l’enfant.
Sur le routeur
Lors de l’achat d’un routeur, si un service de contrôle parental est proposé dans les fonctionnalités, il s’agit d’un contrôle des horaires et parfois par mot clé.
Je déconseille l’utilisation des mots clé car c’est souvent trop restrictif, les DNS sont bien mieux pour filtrer les contenus.
Chaque appareil qui se connecte a un numéro d’identification unique nommé adresse MAC (Media Access Control rien à voir avec la marque à la pomme). On peut régler le routeur pour qu’il bloque l’accès à internet de certains appareils, tout le temps ou à certains moment, la nuit par exemple.
Voici par exemple une restriction de temps pour le smartphone d’une collégienne.
On voit que cet appareil est limité à 3h cumulées d’accès au réseau en semaine et 4h le week-end.
De plus, le réseau est inaccessible entre 22h et 9h la semaine et entre minuit et 9h le week-end.
Depuis l’interface web c’est en anglais mais bien souvent il y a une appli mobile traduite qui permet aussi d’administrer le routeur.
Sur iPhone
Un service de restriction assez avancé est disponible dans iOS sous le nom de " temps d’écran " (mode d'emploi).
Le principe est le même que vu précédemment avec quelques nuances.
On peut par exemple cibler la restriction sur certaines applis seulement ou certaines catégories d’applis. On peut donc bloquer les réseaux sociaux et les jeux mais pas le téléphone ni les sms.
Lorsqu’on utilise ces restrictions, le système demande de définir un code qui empêche ensuite l’enfant de modifier les réglages.
Sur mobile Android
Google, contrairement à Apple, n’intègre pas de gestionnaire de restriction directement dans son système pour smartphones. Il faut pour cela utiliser une application dédiée.
Celle qui est gratuite et proposée par Google se nomme Family Link (lien familial en français).
Elle n’est bien sûr absolument pas respectueuse de la vie privée mais, une fois n’est pas coutume, je la présente car elle est très efficace pour protéger les enfants.
Cette application permet à un parent d’intervenir à distance sur l’appareil de l’enfant :
- Gérer les réglages et applis
- Gérer le temps d’utilisation
- Géolocaliser l’appareil de l’enfant
- Restreindre l’accès aux contenus pour adultes
Tous les détails sont disponibles sur le site du fournisseur.
Bien sûr, la réticence des enfants fait que family link est l’appli la moins bien notée du play store :
Pour ceux qui sont vigilants sur les questions de vie privée, il y a aussi des propositions sur F-droid. Je ne l’ai pas téstée mais voici par exemple TimeLimit.io
Pi-hole
Si tu as des notions d’administration système et réseau, tu as la possibilité de maîtriser parfaitement ton réseau local avec un petit serveur (une carte ARM de type Raspberry Pi fait parfaitement le travail) et le programme Pi-hole.
Bien que cela demande d’utiliser la ligne de commande et une connexion ssh (n’aie pas peur, ça ne fait pas mal !) l’installation et les mises à jour sont d’une très grande simplicité.
Pi-hole agit sur l’ensemble du réseau d’une maison. Il permet de bloquer publicités et traceurs, de configurer les DNS, de voir le journal de toutes les requêtes, de mettre des sites en liste noire… Un peu comme Blokada mais pour tout le réseau.
L’enfant qui utilise un ordinateur connecté sur un réseau géré avec Pi-hole est donc à l’abri de pas mal de nuisances.
Tout est très bien expliqué sur cette page.